Monday, December 4, 1989

Les conséquences sociales de l'émigration au Liban

الآثارالديموغرافية والاجتماعية والاقتصادية للهجرة اللبنانية..
دراسة للدكتور علي فاعور.

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Les conséquences sociales de l'émigration au Liban 

[article]

  Année 1992  44  pp. 225-243
Fait partie d'un numéro thématique : Liban 1992

دراسة قدمت منذ ثلاثة عقود من الزمن، في نهاية الحرب الأهلية في لبنان، خلال مؤتمر الخبراء الدولي الذي نظمته اللجنة الإقتصادية والإجتماعية لغربي آسيا (الإسكوا)، الأمم المتحدة، في عمان بالتعاون مع منظمة العمل الدولية، للفترة بين 4 و 9 كانون الأول عام 1989..
وهي تتضمن معطيات وإحصاءات مهمة حول تأثير الحرب على هجرة اللبنانيين، وكيف يتم تهجير العقول والأدمغة وخسارة الموارد البشرية دون إهتمام من السلطات الحاكمة..
إننا نضع هذه الدراسة بتصرف الباحثين، ويبدو أننا اليوم أمام موجات جديدة من هجرة الأدمغة والكفاءات اللبنانية، بينما تتواصل الصراعات السياسية حول تقاسم الحصص الطائفية، مما أدى إلى تعطيل النشاط الإقتصادي ودفع لبلد إلى الإنهيار وتهجير اللبنانيين.
والدراسة منشورة عام 1992 في مجلة فرنسية متخصصة: Cahiers de la Mediterranee وعلى الموقع العالمي: (https://www.persee.fr/doc/camed_0395-9317_1992_num_44_1_1071
كما يمكن الرجوع في الموقع إلى تحميل طبعة ثانية من الدراسة باللغة الإنكليزية لمن يرغب نشر الدراسة للمقارنة بين مرحلة الحرب اللبنانية والمرحلة الحالية. ولمزيد من التفاصيل يمكن العودة إلى كتاب "الهجرة للبحث عن وطن" للدكتور علي فاعور.

LES CONSEQUENCES SOCIALES DE L'EMIGRATION AU LIBAN*

Ali FAOUR**

Etudier le problème de l'émigration au Liban nécessite une méthodologie particulière, qui tienne compte à la fois des phases successives de l'histoire du Liban et des changements intérieurs qui les ont accompagnées. L'objectif est d'asseoir une telle étude sur des fondements solides afin de pouvoir comprendre les raisons et la portée des déplacements de la population, en général, et de ceux des forces actives en particulier.

Les différentes phases par lesquelles est passée l'émigration libanaise constituent des "stations" qui permettent de suivre ces déplacements ainsi que les facteurs qui les ont déterminés. D'une manière globale, on en distingue deux principaux:

- Les guerres intestines: on constate que les vagues de la grande émigration correspondent à des périodes de conflits internes: pour fuir le danger, la population est forcée de s'exiler.

- Les raisons économiques: on quitte le pays pour chercher du travail à l'étranger. Dans ce cas, l'émigration des forces actives est liée au marasme économique endémique, à la propagation du chômage et, en ce qui concerne la main-d'œuvre qualifiée, à une demande intense et à des offres séduisantes de la part des pays arabes producteurs de pétrole.

* Ce texte est une partie d'une communication présentée par l'auteur à la conférence internationale organisée par l'E.S.C.W.A. (Commission Economique et Sociale de l'Asie Occidentale) à Amman, du 4 au 9 décembre 1989, sur les conséquences démographiques, sociales et économiques de l'émigration internationale dans le monde arabe.

** Professeur à l'Université Libanaise.

 

L'ampleur démesurée des vagues d'émigration et l'augmentation du nombre des Libanais dispersés de par le monde ont débouché sur la création d'un "Liban émigré" - dont l'effectif dépasse celui du "Liban résident" - sur l'établissement de 1' "Union Culturelle Libanaise dans le Monde"^)' sur la création du "ministère des émigrés" affilié au ministère des Affaires étrangères et sur la multiplication des communautés d'émigrés libanais, bien implantées en Afrique, en Amérique et en Océanie.

Malgré cette dispersion géographique de grande envergure, malgré les nombreuses études faites sur le thème de l'émigration contemporaine des Libanais et la diversité des écrits, rédigés en différentes langues, relatifs aux émigrés et à leurs descendants dans les pays d'outre-mer, rares sont les travaux qui traitent des liens que ces derniers maintiennent avec la mère patrie et de leur attachement à leur société d'origine. D'où l'importance de la présente étude qui vise à mettre en lumière les manifestations de tels liens et à déterminer les retombées socio-économiques de l'émigration, et ce pour une des phases les plus décisives de l'histoire du Liban, durant laquelle ce pays court le risque de perdre ses ressources humaines. La plupart des études abordant le thème de l'émigration libanaise mettent l'accent sur les côtés positifs de ce phénomène. Celui-ci est présenté comme la caractéristique la plus remarquable de la personnalité libanaise qui se distinguerait par l'esprit d'aventure. Mais l'émigration, mis à part son côté aventureux, a toujours constitué pour les Libanais une soupape de sûreté^2) à laquelle ils recourent au moment des calamités, cherchant à gagner leur pain à l'extérieur de leur pays.

Ainsi la majeure partie des études qui, durant les cinquante dernières années, ont traité de ce thème, se caractérisent-elles par leur manque de globalité. On s'y borne, en fait, à présenter les aspects positifs de l'émigration, en négligeant l'inquiétude qui a accompagné récemment, "la fuite des cerveaux" et en omettant de soulever le problème de la perte, par le Liban, de ses capacités humaines. Outre son aspect aventureux, l'émigration est présentée comme une source d'accumulation des capitaux et des richesses. Cette vision a eu pour corollaire d'encourager les départs. On n'a pas prêté attention aux conséquences sociales de ce phénomène ni à ses répercussions négatives sur le développement économique du pays. Le Liban y perd, en effet, une partie de son énergie et de son potentiel économique. Cette perte s'ajoute au fléau occasionné par les événements sanglants des quinze dernières années.

Notre étude, tournant autour des séquelles de l'émigration, n'est en réalité qu'un essai exploratoire destiné, en particulier, à déterminer le coût humain de la guerre. Ce coût élevé menace la survie du Liban dont la structure sociale risque

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une désintégration totale. Il est, en outre, lié à des facteurs internes et externes qui s'enchevêtrent et qui dépendent, à leur tour, de la suspension complète des combats et de la réalisation de la réconciliation nationale. Les derniers cycles de violence qui ont commencé à la mi-mars 1989 constituent les cycles les plus durs que la capitale libanaise ait connus depuis le début du conflit. Rappelons, à titre d'exemple, qu'entre mars et août 1989, le nombre des tués y a été de 710 et celui des blessés de 35OO/3^ Quant au nombre de familles déplacées de Beyrouth et de sa banlieue, il a atteint les 125 mille. A ces chiffres s'ajoutaient environ 100 mille personnes, des jeunes pour la plupart, qui ont quitté le pays en quête de sécurité et d'une patrie de rechange.

Comme on le constate, toute investigation relative à l'émigration libanaise dans ses aspects positifs et négatifs s'enchevêtre, ipso facto, avec un autre thème, celui de l'émigration internationale. Nous devons donc tenir compte de cette interprétation dans l'établissement du plan de la présente étude. Celui-ci comportera les trois points suivants:

1 - La toile de fond historique

2 - Enquêtes et étude de cas

3 - Les causes sociales de l'émigration.

I - La toile de fond historique

Toute étude sur l'émigration libanaise cherche, en général, à déterminer l'arrière plan historique qui permet d'en dégager les différentes étapes et leur évolution et d'apporter des précisions à propos des destinations et des effectifs.

Les changements socio-économiques des quinze dernières années ont affecté en profondeur l'émigration libanaise. Il est vrai que depuis plus d'un siècle et demi, le rythme de celle-ci reste soutenu; mais, après le déclenchement du conflit en 1975, ce rythme s'est encore accélérée et l'émigration actuelle, contrairement à celle d'autrefois, revêt un caractère définitif, car les Libanais semblent perdre tout espoir de voir s'arrêter définitivement la guerre qui ronge leur pays.

Si l'ancienne émigration qui avait pour destination le Nouveau Monde a été, en général, permanente, celle effectuée en direction des pays du Golfe et de l'Afrique a eu un autre cachet: elle est associée à l'afflux des richesses

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pétrolières, à l'abondance de la production et à l'accession de certains pays à l'indépendance; elle revêt un caractère provisoire(4) confirmé par le retour au Liban de certains émigrés qui ont même rapatrié les capitaux accumulés dans les pays d'accueil.

Avec l'intensification des combats durant les dernières années, l'espoir de retour s'est amenuisé. Les émigrés qui, dès le début de la guerre, avaient emmené avec eux leurs familles, se sont vus contraints, par les destructions massives que subissait leur pays, par les déplacements forcés et répétés dont était victime la population libanaise(5), par le démantèlement de l'Etat et l'apparition, sur ses décombres, de mini-Etats au sein desquels sévissaient des conflits de clans, enfin par le renouvellement de la violence sous toutes ses formes, à renoncer à leurs aspirations d'origine et à abandonner l'idée de revenir dans leur pays. Ainsi l'émigration, qualifiée de provisoire, finit-elle par dégénérer et par devenir permanente.

A la lumière de ce qui précède, nous allons essayer d'étudier le processus migratoire au Liban en y distinguant quatre grandes phases principales:

1ère phase: elle s'étend du milieu du XIXe siècle jusqu'à la Première Guerre mondiale. Durant ce temps (plus précisément entre 1861 et 1920), le Mont-Liban formait une muta$arrifiyya (province) autonome au sein de l'Empire ottoman. La région connut en 1860 des troubles confessionnels auxquels s'ajoutaient la détérioration de la situation économique et la propagation des maladies. Cela poussa les habitants de la muta$arrifiyya et ceux des provinces syriennes à émigrer, d'abord vers les Etats-Unis d'Amérique, le Brésil et l'Argentine, puis vers le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande et enfin vers certains pays de l'Afrique occidentale.

L'émigration, durant cette phase, revêt un caractère relativement aventureux puisque les premiers Libanais qui arrivèrent au Brésil et qui, de là, se répandirent dans les deux Amériques n'étaient, au départ, que de simples marchands ambulants. Mais ils ne tardèrent pas à devenir de vrais commerçants, à posséder de nombreux magasins, voire même des sociétés, et à acquérir une grande renommée/6^ Rappelons ici que le nombre des Libanais qui, jusqu'en 1914, avaient quitté leur pays, atteignit cent mille environ, ce qui équivalait, à cette époque, au quart de la population de la muta$arrifiyyap}

2ème phase: elle s'étend de 1914 à 1945. Période de conflits mondiaux et de crises économiques, elle laissa de néfastes séquelles au Liban. Il est vrai que l'émigration s'est arrêtée durant les années de guerre (1914 - 1918 et 1939 - 1945),

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mais elle fut très intense dans l'entre-deux-guerres.

A partir de 1920, les Etats-Unis d'Amérique prirent des mesures pour restreindre le nombre des immigrants. Celui des Libanais et des Syriens autorisés à émigrer aux Etats-Unis, entre 1921 et 1939, atteignit un niveau extrêmement bas: de 100 à 500 départs annuels/8^ En 1925, l'Australie prit des mesures analogues mais moins draconiennes; aussi les Libanais continuaient-ils à s'y rendre: 1803 immigrants en 1921, 2020 en 1933 et 1886 en 1947.(9) Le courant migratoire dévia, dans rentre-deux-guerre, vers l'Amérique latine et l'Afrique occidentale qui accueillirent, durant cette période, environ 80 mille immigrants d'origine libanaise.

3ème phase: s 'étendant de 1945 à 1975, cette phase représente un tournant décisif dans l'histoire de l'émigration libanaise. Celle-ci ne s'orientait plus vers les pays lointains, mais vers les pays arabes producteurs de pétrole. Elle se transforma en outre, en émigration provisoire.

Dès le début des années cinquante, les départs vers l'Arabie Saoudite et les Emirats du Golfe s'accentuèrent. Les artisans, les cadres et la main d'œuvre qualifiée étaient attirés par les projets de développement économique. Les Libanais ont joué un rôle capital dans le secteur de la construction et des travaux publics. Ils fondèrent de nombreuses sociétés immobilières. Es arrivaient tous les ans par milliers et, dans certains pays, par dizaines de milliers. Le rythme s'accéléra dans les années soixante et atteignit son apogée dans les années soixante-dix. Cette accélération coïncida avec la hausse du prix du pétrole qui augmenta les revenus des pays producteurs et transforma en profondeur leur économie.

En 1970, l'effectif des émigrés libanais au Koweït était de 25.387/10) En 1975, près de 50.000 Libanais quittèrent leur pays et se dirigèrent vers les pays arabes. 40,3% d'entre eux s'installèrent en Arabie Saoudite, 15% en Jordanie et 14,6% au Koweït/11* Quant au nombre total des résidents libanais dans les pays arabes pétroliers, il s'élevait, en 1975, à 115.766 dont 33% en Arabie Saoudite et 22% au Koweït/12^.

Par ailleurs, à partir de 1960, le courant migratoire vers les Etats-Unis d'Amérique s'est, lui aussi, amplifié. La nouvelle loi américaine sur l'émigration et la nationalité parue en 1965 substitua, à l'ancien système des quotas, une priorité accordée à certaines professions et à certaines catégories d'ouvriers spécialisés. Dès lors, le niveau d'éducation et de formation du candidat à

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l'émigration constitua un facteur décisif. Ce fut p^ur les pays du Tiers monde, la "fuite des cerveaux" et de la main d'œuvre qualifiée. Le nombre des spécialistes arabes (ingénieurs, biologistes, sociologues...) qui, entre 1966 et 1972, émigrèrent aux Etats-Unis s'éleva à 4218 dont 334 Libanais/13) Un phénomène analogue fut observé à propos de l'Australie où, entre 1961 et 1971, le nombre d'immigrants d'origine libanaise passa de 7253 à 24.218 pour atteindre 33.424 en 1976/14)

4ème phase: c'est celle de la grande émigration consécutives au déclenchement du conflit libanais en 1975. Cette phase se poursuit encore de nos jours. Au rythme des combats, elle connut des accélérations et des ralentissements. Chaque nouvelle vague de violence poussait des dizaines de milliers de personnes hors de leurs maisons et de leur pays.

Au fil des ans, le déplacement forcé des populations, dont les villages et les quartiers ont été dévastés, a dégénéré en un grand mouvement migratoire/15) Une partie de ceux qui partaient rentraient chez eux une fois le calme revenu, mais l'autre partie se fixait, en général, à l'étranger.

Une étude faite par l'Union Culturelle Libanaise dans le Monde sur l'émigration durant les deux premières années du conflit montre, qu'entre avril 1975 et mars 1977, le nombre des Libanais qui quittèrent leur pays s'éleva à 625.760/16) Plus de la moitié d'entre eux, soit 353.260 rentrèrent après le ralentissement des combats. Quant aux autres, ils s'installèrent dans les pays arabes, en Amérique, en Europe et en Afrique.

Malgré les répits relatifs que laissaient parfois les affrontements armés, les flux migratoires ont continué à saigner le pays. Ils étaient aggravés par l'implantation galopante, le chômage et la baisse du pouvoir d'achat. Entre 1982 et 1986, le revenu annuel par habitant est passé de 1230 dollars américains à 155 dollars; il a de nouveau subi une chute durant l'année 1987. Quant au salaire minimum, il s'est effondré à une allure inquiétante. Il était à 243 dollars américains en 1983, il est tombé à 39 dollars en janvier 1987 puis à 19 dollars en décembre de la même année/17) On peut donc en conclure que la majorité des Libanais vivent au-dessous du seuil de la pauvreté.

L'émigration, telle qu'elle apparaît à travers ce rapide aperçu, constitue un phénomène capital dans l'histoire contemporaine du Liban/18) Pour en étudier les conséquences sociales, il nous a paru indispensable d'opérer ce retour au passé.

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L'EVOLUTION DE L'EMIGRATION LIBANAISE ENTRE 1860 ET 1984

L'évolution de l'émigration libanaise entre 1860 et 1984
L'évolution de l'émigration libanaise entre 1860 et 1984

Sources:

* Pour la période antérieure à 1959, nous reproduisons les chiffres rapportés par SAFA dans son ouvrage cité à la note 6.

* Pour la période comprise entre 1960 et 1969, nous reproduisons les chiffres officiels publiés dans le quotidien libanais AL-NAHAR, n°7, 1971.

* Pour le reste, nos sources sont variées.

Pour conclure ce point, nous pouvons dire, qu'entre 1860 et 1985, l'émigration a constitué un remède à l'accroissement substantiel de la population, à l'insécurité et à la précarité de la situation socio-économique. C'est en cela que réside son aspect positif. Cependant l'expatriation défînitiveC19) de l'élite et de la main-d'œuvre qualifiée vide le pays de sa population créatrice et dynamique, l'appauvrit, le plonge dans le sous-développement et rend aléatoire tout espoir de reconstruction, de reprise économique et de récupération par le Liban du rôle de pionnier qu'il a tenu, pendant des siècles, au Proche-Orient.

II - Enquêtes et étude de cas

Toute recherche sur les flux migratoires provoqués par le conflit intérieur libanais se heurte à un obstacle majeur qui est l'absence de statistiques officielles précises/20) Celles dont nous disposons aujourd'hui - mis à part quelques exceptions dues à des initiatives individuelles - ne sont que des estimations et des projections qui remontent à 1970 (recensement des forces actives au Liban)(21); mais depuis 1975, date du déclenchement de la guerre, on a assisté à de profondes mutations démographiques et à une émigration massive vers l'étranger, ce qui a entraîné de grands changements dans la structure de la population.

Nous nous basons, dans le présent travail, sur les estimations disponibles

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et sur les conclusions de deux études relatives à l'émigration, l'une effectuée au Liban en 1989 et l'autre en Grèce et à Chypre en 1986. Cette dernière, faite sur place, visait à connaître la situation des forces actives libanaises dans les deux pays concernés, et cela du point de vue démographique, économique et social. En Grèce, nous nous sommes intéressé aux Libanais qui vivaient à Athènes et dans sa banlieue où nous avons opéré un recensement des sociétés commerciales, des banques, des agences de voyage, de transport et de services divers, en particulier celles qui avaient transféré leurs activités de Beyrouth à Athènes et qui employaient des Libanais. Quant à l'étude faite à Chypre, 2»le couvrit les grandes villes (Limassol, Nicosie, Larnaca et Paphos) où s'étaient fixées les banques et les sociétés libanaises, en particulier celles qui s'occupent de commerce et de transport. Il s'agit, en général, de sociétés off shore qui exercent leurs activités en dehors de Chypre/22)

1 - Objectifs de l'étude et cadre géographique général

Au milieu des années quatre-vingts, l'émigration devint la seule échappatoire de l'enfer de la guerre, surtout pour les jeunes et pour les familles ruinées et dépourvues de ressources. Malgré les obstacles que rencontraient les Libanais auprès des ambassades étrangères pour l'obtention d'un visa, malgré le trafic organisé et scandaleux dont ont fait l'objet ces visas de la part de certaines agences de voyage, l'émigration gardait tout son attrait, surtout à destination des Etats-Unis d'Amérique, de l'Australie et du Canada. Ces agences promettaient en outre aux sinistrés, candidats à l'émigration, de les aider pour obtenir le statut de réfugiés politiques dans certains pays, en particulier en Allemagne fédérale, au Canada, en Suisse et en Suède/2^ Ainsi des centaines de familles ont-elles été acheminées vers les aéroports puis vers l'étranger. Certaines ont réussi leur aventure, d'autres ont dû rentrer dans le pays après avoir tout perdu. Comme la guerre persistait et avec elle l'insécurité, la misère et l'inquiétude, la majorité des Libanais demeuraient obsédés par l'idée d'émigrer et de construire leur avenir à l'étranger. A l'heure actuelle, cette obsession n'a pas encore disparu.

Le mouvement migratoire s'est accentué à la suite de la détérioration de la situation économique au milieu de l'année 1987. Ceci nous a décidé à entreprendre une enquête pour étudier les caractéristiques socio-économiques de l'émigration et les conséquences de la guerre sur la situation démographique au Liban.

Le cadre géographique de cette recherche se limite, pour des raisons de sécurité, à quelques villages du Sud. Il nous a été impossible de travailler sur la ville de Beyrouth à cause de la détérioration de l'état de sécurité dans cette ville,

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ce qui fut à l'origine du déplacement de plus de 650.000 personnes vers le Sud, leNordetlaBékaa.(24)

Le cadre géographique englobe donc onze villages du Sud répartis comme suit:

-3 villages situés au nord du fleuve Litani: Kawthariyyat al-Siyyad, Ghassaniyyah et Toufahta.

- 6 villages situés au sud de ce fleuve, en face de la zone frontalière contrôlée par Israël: Shhour, Barish, Ma'roub, Mahrounat, Deir 'Ames, Safad al-Battikh et Kafra.

- Un seul village, al-Taïbé, situé dans la zone frontalière contrôlée par Israël.

L'étude engloba les émigrés au sujet desquels on a pu recueillir des renseignements. Ceux-ci ont été fournis directement aux enquêteurs, entre le 15 mars et le 15 juin 1989, par des parents vivant encore sur place. Il ne s'agit donc pas d'un recensement complet de tous les émigrés des villages susmentionnés. Deux critères ont été retenus pour le choix de l'échantillon traité: l'émigration devait être de fraîche date, consécutive aux derniers cycles de violence; l'émigré devait avoir de la famille sur place pour fournir les renseignements demandés. Ceux-ci se rapportaient à l'âge, au sexe, à la situation familiale, au niveau de l'éducation, à la date de l'émigration, au domicile avant le départ, au pays d'accueil, à la profession d'origine et à celle exercée à l'étranger, aux personnes qui ont accompagné l'émigré... Les enquêteurs ont été confrontés à toutes sortes de difficultés. H leur fut très difficile d'obtenir des renseignements au sujet des familles dont tous les membres s'étaient expatriés. Finalement ne furent retenus pour l'analyse que les questionnaires pour lesquels on a pu obtenir des réponses complètes.

2 - Les caractéristiques des émigrés

Le nombre d'émigrés actifs (15-64 ans) inclus dans l'échantillon s'éleva à 720 répartis, d'après le lieu d'enregistrement figurant sur la carte d'identité, sur onze villages de la manière suivante:

108 de Kawthariyyat al-Siyyad, 79 de Ghassaniyyah, 122 de Toufahta, 49 de Deir 'Ames, 42 d'al-Taïbé, 31 de Safad al-Battikh, 33 de Mahrounat, 35 de Ma'roub, 91 de Shhour, 26 de Barich et 104 de Kafra.

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La répartition selon le lieu de résidence, durant la période pré-migratoire, révèle qu'environ 22% de ce:, émigrés habitaient déjà Beyrouth. Quant à la répartition selon les pays d'accueil, elle révèle que 40% d'entre eux se sont dirigés vers les pays arabes (dont l'Arabie Saoudite 24% et le Koweït 10%), 20% vers l'Europe, 16% vers l'Amérique du Nord et 20% vers l'Afrique.

Quant aux principaux mobiles de l'émigration, ils sont liés à l'état de pauvreté des régions rurales où sévit le chômage surtout parmi les jeunes. 82% de ceux qui partent le font pour rechercher du travail, 8,3% pour achever leurs études à l'étranger, mais une fois dans le pays d'accueil, la plupart d'entre eux se lancent dans le travail, enfin 5,2% le font pour des raisons politiques.

Les résultats de l'enquête montrent que les vagues de départ se sont poursuivies régulièrement, surtout à partir du déclenchement de la guerre du Liban. 14,58% de ceux qui ont émigré desdits villages l'ont fait avant 1975, 12,5% l'ont fait durant les deux premières années du conflit (1975-1976), 29,7% durant la période allant de 1977 à 1980, 11,5% entre 1981 et 1984 et enfin 25,6% entre 1985 et juin 1989.

En ce qui concerne l'âge, on remarque que 28% des émigrés ont entre 20 et 30 ans. En excluant tous ceux dont l'âge n'est pas précisé, on arrive à un pourcentage de 82% pour la tranche 20-40 ans. Il s'agit donc d'une population essentiellement jeune et dynamique. Quant à la situation familiale, on constate que la proportion des mariés s'élève à 66% entre 34% pour celle des célibataires.

Par ailleurs, les résultats de l'enquête montrent que, du point de vue professionnel, les artisans (électriciens, carreleurs, charpentiers, boulangers, plombiers, peintres en bâtiment...) représentent 23% des émigrés, les employés du secteur touristique 9,2%, les divers manœuvres 6,3%, les commerçants 11,9%, les employés de bureaux 9,7%, les petits industriels et les petits commerçants 7,4%... Quant au niveau d'éducation, les analphabètes ne représentent que 1%; la majorité d'entre les émigrés se situent au-dessous du niveau secondaire (près de 50%), alors que les universitaires ne représentent que 2,4%...

III - Les conséquences sociales de l'émigration

Les principales motivations de l'émigration sont sans doute d'ordre personnel et résident essentiellement dans le désir d'améliorer son niveau de vie. Les facteurs déterminants dans la prise de décision, selon la classification de Houda Zreik/25) seraient la recherche de l'emploi et de revenus réguliers, de la sécurité et de la stabilité, d'un logement convenable et des loisirs, enfin la

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recherche d'une vie sociale entre amis et proches où le sentiment de l'appartenance sociale est sauvegardée. Si, de nos jours, l'émigration est considérée, sur le plan individuel, comme une planche de salut pour ceux qui veulent fuir la guerre, elle constitue, par contre, sur le plan national, une catastrophe parce qu'elle vide le pays de ses ressources humaines et de ses capacités.

Il ressort des entretiens que l'auteur de cette étude a eus, en personne, avec de nombreuses familles libanaises, que le souci primordial de la majorité d'entre elles est de s'assurer les moyens nécessaires pour faire partir leurs enfants à l'étranger, afin de les préserver des dangers de la guerre. Ainsi l'émigration devient-elle le souhait quasi général d'une population en proie à toutes sortes de malheurs et à la misère matérielle. Les conséquences en sont multiples.

1 - La baisse démographique

La principale conséquence de l'émigration est une baisse démographique notoire. S'il est facile de savoir vers quels pays se dirigent les émigrés/26) il est par contre impossible d'avoir des statistiques précises relatives à leur nombre. Les chiffres avancés ne sont que des estimations, de sources variées. Ils englobent les émigrés et leurs descendants. Mais, parmi ces derniers, beaucoup n'ont plus de liens avec le Liban et ne sont plus détenteurs de la nationalité libanaise. Certaines sources affirment, cependant, que le nombre des Libanais de la diaspora est égal, voire même supérieur, à celui des Libanais qui vivent dans le pays/27)

Le manque de statistiques officielles pour la période de la guerre nous empêche d'avoir des chiffres fiables. Nous pouvons cependant, en nous basant sur certaines estimations, avoir des chiffres approximatifs à propos de l'émigration:

- Les estimations avancées par les Nations Unies pour l'année 1974 révélaient que le nombre des émigrés libanais qui vivaient en dehors du continent asiatique s'élevaient à 140.000 (soit 5% de la population), et que ces émigrésa se dirigeaient en priorité vers les Etats-Unis d'Amérique et le Canada/28)

- 22% des Libanais ont quitté leur pays durant les deux premières années de la guerre (1975-1976), soit 625.000 pour une population estimée à 2.800.000. Parmi ceux qui sont partis, 43,5% se sont définitivement fixés à l'étranger.

- Entre 1978 et 1984, 335.000 Libanais ont émigré aux Etats-Unis d'Amérique et en Afrique. Il s'agissait, dans la plupart des cas, d'émigration permanente/29)

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- Entre 1975 et 1983, environ 170.000 Libanais, artisans et techniciens supérieurs dans leur majorité, se sont dirigés vers les Etats pétroliers du Golfe .(3°)

- Certaines sources révèlent qu'entre 1975 et 1985, près de 200.000 Libanais se sont définitivement fixés en Amérique du Nord, en Europe occidentale et en Australie (dont la moitié dans ce dernier pays et au Canada).

Il ressort d'une étude faite par Riad Tabbarah(31) qu'entre 1975 et 1980, la population libanaise résidente n'a pas augmenté, mais au contraire, elle a légèrement diminué passant de 2.590 mille à 2.467 mille. On a enregistré, durant cette période, 290.000 naissances, près de 140.00 décès (dont 50.000 dus à la guerre)^32) et 276.000 départs définitifs ou provisoires pour l'étranger.

D'autres estimations^3) révèlent que le nombre des Libanais qui résident dans leur pays a subi, entre 1982 et 1987, une baisse due à l'émigration et qu'il est passé de 2.916 mille à 2.684 mille et qu'en 1982, le nombre des émigrés a été évalué à 400.000 (12,1 de la population) et qu'il est passé à 495.000 en 1987 (15,6% de la population).

2 - Baisse des taux de nuptialité et de fécondité

L'émigration croissante des hommes jeunes (surtout entre 25 et 35 ans) a provoqué une baisse du taux de masculinité et a créé un déséquilibre dans la pyramide de la population. Ainsi, dans certains villages du sud, la proportion des hommes par rapport aux femmes s'est effondrée d'une manière inquiétante. Elle n'est que de 23% à Joumaîjmé pour la tranche d'âge 30-40 ans, 70% Kawthariyyat al-Siyyad et 81% à Deir-'Ames. Pour l'ensemble des villages du Sud, elle se situerait autour de 83 %P4) On retrouve ce même déséquilibre dans certains quartiers de la capitale où sévit l'émigration, avec les mêmes répercussions sur les taux de nuptialité et de fécondité et sur la vie socio-économique dans son ensemble.

3 - La redistribution de la population

On remarque dans la plupart des régions libanaises que l'émigration est étroitement liée aux déplacements intérieurs forcés de la population, consécutifs à la guerre.

L'étude que nous avons effectuée en Grèce et à Chypre, en 1986, sur l'émigration libanaise a montré que la majorité des émigrés dans ces deux pays

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étaient chrétiens (64% en Grèce et 52% à Chypre) et orthodoxes en particulier (43% en Grèce et 27% à Chypre) et que ceux dé Grèce étaient, à 62%, originaires de Beyrouth-Ouest; quant à ceux de Chypre, ils l'étaient également à 41% (contre 9% de Beyrouth-Est).

Ainsi voyons-nous que l'émigration au Liban est en corrélation avec le compartimentage confessionnel de la société, ce qui a obligé beaucoup de Libanais à quitter leur région d'origine et à se réfugier, soit dans d'autres zones à l'intérieur du pays, soit à l'étranger.

D'après une étude(35) que nous avons effectuée, en 1987, sur un échantillon de 275 familles (soit 1220 personnes) du quartier de Hamra à Beyrouth-Ouest, il ressort que le pourcentage des chrétiens habitant encore ce quartier est tombé à 24% de l'ensemble de la population alors que celui des communautés musulmanes est passé à plus de 67% (sunnites 28%, chiites 27,5%, druzes 11,5%). Il ressort également que les familles déplacées durant la guerre forment 46% de cette population.

On trouve une situation similaire chez d'autres communautés: les Arméniens libanais, par exemple, émigrent aux Etats-Unis d'Amérique. Ils comptent plus de 10.000 dans le seul Etat de Californie/36)

D'autres exemples méritent d'être également mentionnés: nous pensons en particulier à la bande frontalière contrôlée par Israël; elle compte environ soixante villages. Là des facilités sont accordées pour encourager les familles et les jeunes chiites à émigrer. Les départs se font essentiellement à destination du Canada, de l'Australie, des Etats-Unis d'Amérique et de l'Allemagne/37^

Quant à l'émigration occasionnée par la guerre, elle a été assez marquée dans les milieux chrétiens. Une étude faite, en 1978, par le service de l'émigration qui dépend du ministère des Affaires étrangères montre, en effet, que durant les deux premières années du conflit (1975-1976), la proportion de chrétiens parmi les émigrés a atteint les 82%. La même étude montre également que la majorité de ceux qui ont quitté le pays durant cette période sont originaires des régions périphériques: villages frontaliers du Sud/38) Akkar, Békaa et Mont-Liban.

4 - La double allégeance des émigrés

On distingue deux sortes d'émigration: la première, lointaine, est en général une émigration d'implantation; elle s'accompagne d'une rapture des relations avec

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la mère patrie. La seconde, provisoire, est celle qui s'effectue à destination des pays du Golfe et de certains pays africains.

L'émigration au Canada, en Australie, aux Etats-Unis d'Amérique et au Brésil ne tarde pas à prendre un caractère définitif, surtout quand l'émigré réussit à obtenir la nationalité du pays d'accueil. Pendant quelque temps, une double allégeance se développe. Chez les célibataires, celle-ci se renforce à l'occasion du mariage surtout si le conjoint est étranger. Les hommes mariés, au bout de quelques mois ou de quelques années, font venir leurs familles du Liban. A partir de ce moment, le tiraillement initial diminue. L'émigré a tendance à s'intégrer dans sa patrie d'adoption.

En passant en revue les grandes émigrations de l'histoire du Liban, on s'aperçoit que celles-ci font en général suite à des conflits intérieurs. Au bout de deux ou trois générations, l'enracinement se fait dans les pays d'accueil et la rupture avec la mère patrie devient définitive.

5 - Les émigrés qui retournent au Liban s'enorgueillissent de "leurs châteaux"

Certains émigrés de la première génération, après avoir passé une partie de leur vie active à l'étranger, rentrent au Liban et rapatrie leurs fortunes. Il n'est pas de notre intention de critiquer ici les méthodes auxquelles ils ont recours pour faire fructifier leurs capitaux et augmenter leurs richesses. Signalons simplement que celles-ci ont parfois des répercussions sociales plutôt négatives, surtout dans certains villages pauvres d'où sont originaires les émigrés. Ces derniers, en effet, dépensent une partie de leur argent pour l'achat de produits de luxe et pour s'assurer certains loisirs dans des milieux ruraux démunis de tout. Leur souci primordial réside dans la construction de demeures grandioses où ils mènent une vie opulente. Leur contribution au développement économique et social du pays reste donc limité. Ainsi, dans beaucoup de village du Sud-Liban, les palais somptueux érigés par les émigrés, souvent dans un style importé et inadapté, avec leur toit en tuiles rouges qui domine des collines dénudés et tristes, avec, la nuit, leurs lumières criardes, contrastent-ils avec le paysage, en général pauvre. Ces nouveaux riches cherchent, avant tout, à s'afficher39' par ces constructions luxueuses et à rivaliser de "gloire" entre eux. H s'agit là d'un phénomène psycho-social morbide très répandu parmi les émigrés enrichis qui rentrent dans le pays.

6 - Rupture avec les traditions et difficultés de réadaptation

Tant dans leur habitation que dans leur mode de vie, leur manière de

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consommer, leurs habitudes "importées", les émigrés fortunés de retour dans le pays paraissent, dans certains villages, en rupture avec leur société d'origine.

Malgré l'importance du rôle que peut jouer l'argent de l'émigration, les nouveaux riches paraissent parachutés dans un milieu qui a conservé ses valeurs et ses traditions et ils n'arrivent pas, par conséquent, à s'y intégrer. Travaillés par le désir de paraître, ils ne tiennent aucun compte de la susceptibilité des leurs compatriotes, ces villageois pauvres, plongés dans les soucis du quotidien, qu'ils côtoient tous les jours. Ces derniers ne reconnaissent plus leurs voisins revenus de l'étranger avec lesquels ils n'arrivent plus à communiquer, à avoir des rapports normaux.

7 - Les problèmes psycho-sociaux des émigrés

Il faut établir une distinction entre les migrations traditionnelles dont l'objet était la quête d'un travail à l'étranger et, par conséquent, le gain matériel, et les migrations collectives consécutives à une guerre où l'on s'expatrie dans le but de rechercher la sécurité. Il est vrai que les mouvements migratoires qu'a connus le Liban au cours de son histoire occasionnaient beaucoup de souffrance aux familles qui voyaient partir un ou plusieurs des leurs, mais les migrations collectives qui ont ravagé le pays entre 1975 et 1989 représentent une situation sans précédent qui a duré et dont les conséquences sont incalculables/40)

D ressort de l'étude faite sur les émigrés libanais en Grèce et à Chypre que la hantise de ceux-ci était de garantir aux leurs la sécurité et la tranquillité. Ainsi, mettre à l'abri de la guerre les membres de la famille devenait-il la priorité pour tout Libanais. Quant au dépaysement, l'inquiétude et l'instabilité" psychologique, ils constituaient le lot quotidien de tout émigré et traduisaient l'état de souffrance dans lequel il vivait, en général, à l'étranger. A tout cela s'ajoutaient la crainte de voir les combats reprendre dans la mère patrie et l'incertitude de l'avenir. Ainsi, même loin du Liban, l'émigré est-il poursuivi par le fantôme de la guerre et se sent-il victime des malheurs qu'elle engendre.

Pour conclure cette étude, nous nous posons la question suivante:

Quand le conflit libanais aura pris fin définitivement, comment entamer le redémarrage et par où commencer?

Il est certain que les séquelles socio-économiques de la guerre seront plus difficiles à traîter que les combats eux-mêmes.

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Pour décider par où commencer, il nous faudrait, au préalable, faire une mise au point et préciser à quel stade nous nous trouvons après le cataclysme.

Il faut reconnaître que le Liban après avoir dissipé son capital humain, est tombé assez bas, au niveau des pays sous-développés. Ceci paraît manifeste à travers la baisse du revenu individuel, la désarticulation de l'infrastructure économique, la destruction des principales installations, la paralysie de l'administration et des institutions gouvernementales, la corruption et le désordre presque généralisés. Cette situation a poussé les Libanais à émigrer pour éviter l'abîme.

Si ceux qui sont partis ont réussi à s'échapper à l'abîme, le Liban tout entier y est déjà plongé. C'est à partir de là que nous devons amorcer un redémarrage. Le pays peut encore récupérer une grande partie de son potentiel humain et des capitaux de ses ressortissants dispersés dans le monde pour engager la bataille de la reconstruction et de la reprise économique. La condition du succès d'une telle entreprise est un consensus interlibanais dans les domaines politique, économique et social, capable de rétablir la confiance et la souveraineté et de ramener les émigrés avec tout leur potentiel. C'est là, à notre avis, l'unique voie pour ressusciter le Liban de sous les décombres.

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NOTES

(1) L'U.L.M. a été fondée en 1960. Huit ans plus tard, faisant suite à l'opposition de certains Etats, plus particulièrement du Brésil, à ce rassemblement, le qualificatif "culturelle" fut ajoutée ; Ainsi ladite union se nomme depuis "L'Union Culturelle Libanaise dans le Monde".

(2) Certaines études contemporaines révèlent aussi que les forces ouvrières actives libanaises ont dû recourir à cette "soupape de sûreté" pour dépasser les répercussions des événements que connaît le Liban. Cependant toute la difficulté réside actuellement dans la manière de convaincre les émigrés de rentrer dans le pays. cf. N. KHALAF, "Les mouvements de la population et la question libanaise", communication présentée à la conférence relative à l'Emigration internationale dans le monde arabe, organisé par la Commission économique et sociale de l'Asie occidentale (E.S.C.W.A.), Beyrouth, 1981.

(3) Nous signalons, à titre de comparaison, qu'en 1987, le nombre des tués s'éleva à 775 et celui des blessés à 1903 ; pour les années 1983-1984, ces chiffres étaient respectivement 3625 et 2161. (Nos sources sont diverses et en général bien informées).

(4) Voir Ali FAOUR, "Les mouvements de la population et le développement au Liban-Sud, in Bulletin de la Population, publié par l'E.S.C.W.A., déc. 1984, pp. 41-70.

(5) Idem, "La guerre et les déplacements forcés de la population au Liban", in Al-Moustakbal Al-'Arabï (mensuel d'expression arabe, Beyrouth) n9 114, août 1988, pp. 95-120.

(6) Pour de plus amples détails voir E. SAFA, L'émigration libanaise, Beyrouth, 1960, p. 216.

(7) Voir Houda ZREIK, "Les mobiles de l'émigration au Liban", (en arabe), in Al-Moustakbal Al-'Arabï, nQ 87, mai 1986, p. 78.

(8) Ibid. p. 79.

(9) Pour plus de détails, voir Kayed ABU-SOUBHA et Fawzi SAHAWNM, "L'immigration arabe en Australie", La Revue géographique, Damas, vol. IX et X, février 1985, p. 24.

(10) J. BIRKS et C. SINCLAIR, La population et l'immigration internationale dans les Etats arabes, p. 268.

(11) Id., "L'immigration internationale contemporaine et le développement des ressources humaines dans les contrées arabes ; les arrières-plans et les problèmes de la politique générale", communication présentée à la Conférence sur la population (E.S.C.W.A.), Damas, 1979, p. 8.

(12) Id., International Migration and Development in the Arab region, ILO, 1980, p. 1 39.

(13) Houda ZREIK, art. cité, p. 80.

(14) Voir Kayed ABU SUBHA et Fawzi SAHAWNIH, art. cité, p. 24.

(15) Pour plus de détails, voir Ali FAOUR, "Problèmes migratoires et crise du logement au Liban", communication présentée à la 3ème. Conférence sur la population au Liban, Beyrouth, décembre 1987.

(16) Nous nous sommes basé, dans la présente étude, sur des données statistiques de

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différentes origines et en particulier sur celles fournies p ?" les services de l'immigration des pays d'accueil que nous avons pu obtenir par l'intermédiaire du ministère libanais des Affaires étrangères.

(17) Voir Le cénacle de la Pensée arabe, La crise libanaise : les dimensions socio-économiques (collection Les dialogues arabes), Amman, 1988 (en arabe).

(18) L'émigration vers les pays arabes et africains se distingue par son caractère provisoire et par les liens étroits que les émigrés maintiennent avec la patrie, grâce surtout aux efforts déployés par la compagnie d'aviation Middle East Airlines qui dessert, depuis 1955, les capitales de tous ces pays. Par contre, les liens avec les émigrés fixés en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans les deux Amériques se distendent.

(19) L'émigration définitive s'est accentuée ces dernières années, surtout à partir de 1987, tant à cause de la guerre et de l'insécurité qu'à cause de la situation économique. Elle touche en particulier les hommes célibataires, les jeunes couples et les étudiants.

(20) La série de statistiques publiées par FE.S.C.W.A. (O.N.U.) ne donne pas de précisions à propos de l'effectif des émigrés ni à propos de leur répartition par âge et par sexe.

(21) Le transfert des bureaux des organisations internationales hors du Liban rend difficile l'établissement de statistiques précises et nous oblige à recourir à des statistiques et estimations anciennes remontant à 1970. cf. United Nations, Département of International Economie and Social Affairs, statistical Office, Population and vital statistics Report, 1984, Special supplement, New-York, 1984, pp. 34,76 et 132.

(22) Pour plus de détails, cf. Ali FAOUR, "L'émigration des forces humaines libanaises", étude présentée à la conférence sur la population organisée, en mars 1987, par la Société démographique arabe. Un compte-rendu de cette étude a été publié dans la Revue de la Famille (Beyrouth), juillet 1987, pp. 37-45.

(23) Plus l'état de la sécurité se détériorait, plus ce phénomène se développait. Il touchait des familles entières (père, mère et enfants) dont un grand nombre vit, à l'heure actuelle, en tant que réfugiés politiques, en Allemagne, au Canada, en Suisse et en Suède.

(24) A l'origine, notre étude devait englober un échantillon assez représentatif des habitants de Beyrouth et de sa banlieue sud ; mais la détérioration de la situation, à partir du 15 mars 1989, nous a obligé à y renoncer.

(25) Voir H. ZREIK, art. cit. , p. 44.

(26) E. SAFA, op.cit., p. 324.

(27) II ressort des estimations publiées par l'Union Culturelle Libanaise dans le Monde que, jusqu'en 1974, le nombre des émigrés libanais et leurs descendants atteignait 4.200.000 personnes répartis comme suit : 2 millions au Brésil, 1.330.000 aux Etats-Unis d'Amérique, 400.000 en Argentine, 78.000 au Mexique. 70.000 dans divers pays asiatiques, 100.000 dans divers pays arabes et le reste se trouvait dispersé dans les cinq continents.

(28) Voir Nations Unies, Tendances et caractéristiques des migrations internationales depuis 1950, New York, 1980, p. 49.

(29) A. BOURGEY, "Importance des migrations internationales de travail dans l'Orient arabe", in Migrations et changements sociaux dans l'Orient arabe, CERMOC, 1987.

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(30) L'émigration des artisans libanais était déjà élevée avant le conflit de 1975. Cela ressort clairement des statistiques relatives aux travailleurs étrangers publiées par le Koweit pour l'année 1975 où l'on remarque que la proportion des Libanais était élevée par rapport à celle des autres ressortissants arabes.

(31) Riad TABB ARAH, Le développement arabe et les ressources humaines libanaises, p. 99.

(32) Les victimes de la guerre du Liban sont évaluées à 130.000 morts. Quant aux handicapés, aux veuves, aux orphelins, ils sont des dizaines de milliers.

(33) Voir Anis ABI FARAH, "Quelle population résidente ? émigrés ? chômeurs ? ...", in Le Commerce, ns 5201, 13 mars 1989, p. 14.

(34) Al-Joumaijé, Kawthariyyat al-Siyyad, Deir "Amess, Safad al-Battikh et Taïbeh sont de petits villages au Sud-Liban où l'auteur a fait des enquêtes relatives à la situation économique et sociale.

(35) Pour les détails voir A. FAOUR, "Le déplacement forcé de la population et l'épuisement des ressources humaines au Liban", communication présentée au colloque organisé à Chypre en 1987 par la Fondation libanaise pour la paix civile permanente, parue dans Le droit à la mémoire (en arabe), Beyrouth, pp. 173-178.

(36) N. Kanaan ATALLAH, "Les émigrés libanais aux Etats-Unis d'Amérique" in Panorama de l'Actualité. CEDRE (Liban), n2 42, 1968.

(37) L'objectif de ces facilités serait de vider les villages du Sud-Liban de leur population jeune.

(38) A la suite de l'invasion israélienne du Sud-Liban en 1978, certaines ambassades étrangères ont accordé de grandes facilités à tous les Libanais qui présentaient une demande d'émigration. Des enquêtes postérieures ont montré qu'une partie de ceux qui avaient émigré à cette occasion, ont obtenu la nationalité du pays d'accueil et s'y sont définitivement fixés.

(39) Voir Mounir KHOURY, "Les séquelles socio-culturelles des migrations régionales", communication présentée au colloque relatif à la migration internationale dans le monde arabe organisé par l'E.S.C.W.A., Beyrouth, 1981.

(40) Voir Ali FAOUR, "L'émigration des forces humaines...", art. cit., p. 38.

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Les conséquences sociales de l'émigration au Liban - Persée
PERSEE.FR
Les conséquences sociales de l'émigration au Liban - Persée
Faour Ali. Les conséquences sociales de l'émigration au Liban. In: Cahiers de la Méditerranée, n°44, 1, 1992. Liban 1992. pp. 225-243.